LA PRESSE – Trump prévoit de doubler les impôts des Canadiens – La presse

février 3, 2025
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Donald Trump menace de doubler les impôts sur les revenus des Canadiens provenant de l’emploi, des entreprises, des dividendes, des intérêts, des loyers et des gains en capital aux États-Unis.

Publié le 3 février – https://www.lapresse.ca/affaires/2025-02-03/le-forum-des-affaires/trump-prevoit-de-doubler-les-impots-des-canadiens.php

Brigitte Alepin Fiscaliste, professeure et auteure

L’arme de Trump : l’article 891 du code fiscal américain

Dès son entrée en fonction le 20 janvier 2025, Donald Trump a signé un décret invoquant l’article 891 du code fiscal américain. Cette disposition, datant de près d’un siècle et jamais utilisée jusqu’à maintenant, lui permet de doubler les impôts des citoyens et des sociétés étrangères si leurs pays de provenance imposent des règles fiscales jugées « discriminatoires » ou « extraterritoriales » envers les citoyens et sociétés des États-Unis.

À cette fin, d’ici le 1er avril 2025, le secrétaire au Trésor doit mener une enquête pour identifier les pays appliquant de telles règles fiscales. Si les résultats de cette enquête révèlent qu’un pays étranger est fautif, le président Trump en fera la proclamation, et les taux d’imposition américains pour les citoyens et entreprises de ce pays seront doublés pour l’année d’imposition en cours et chaque année ultérieure portant les mêmes stigmates.

Impôts canadiens « discriminatoires » ou « extraterritoriaux » ?

La taxe sur les services numériques (TSN) adoptée en 2024 par le gouvernement canadien risque très fortement d’être considérée comme une taxe discriminatoire. La TSN est rétroactive au 1?? janvier 2022 et les entreprises y étant assujetties, principalement les GAFAM, devront commencer à l’assumer dès le 30 juin 2025.

La TSN découle d’un engagement du Parti libéral du Canada lors des élections de 2019. Les États-Unis s’y sont fermement opposés, arguant qu’elle pénalisait injustement les sociétés américaines et enfreignait les accords commerciaux internationaux. Le Canada a tardé à la mettre en œuvre dans l’espoir d’une entente mondiale sur la fiscalité numérique à l’OCDE. Toutefois, les négociations n’ont pas abouti à un consensus. Le Canada a donc adopté la TSN en juin 2024. Le 30 août 2024, les États-Unis ont annoncé qu’ils contestaient officiellement la TSN canadienne dans le cadre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, alléguant que cette taxe discrimine les sociétés américaines au profit des sociétés canadiennes.

Le 16 janvier 2025, Scott Bessent, récemment confirmé au poste de secrétaire au Trésor des États-Unis, déclarait devant le Sénat américain : « Les TSN sont des politiques discriminatoires qui nuisent aux entreprises et aux travailleurs américains. La rétroactivité de la taxe canadienne est particulièrement préoccupante. Si ma nomination est confirmée, je m’engage à œuvrer pour garantir que les sociétés américaines ne soient pas ciblées par des taxes étrangères injustes. »

Lors de son premier mandat, l’administration Trump avait envisagé de recourir à l’article 891 pour sévir contre la TSN française. Cependant, elle avait finalement privilégié d’autres stratégies, notamment la dénonciation de ces taxes comme violations des accords commerciaux. Cet exemple peut permettre d’espérer que Trump puisse envisager des mesures moins extrêmes pour répondre à la TSN canadienne.

Un autre impôt susceptible d’être considéré comme « discriminatoire » ou « extraterritorial » est la règle des profits insuffisamment imposés (RPII), applicable au Canada à compter du 1er janvier 2025. Cet impôt, émanant de la réforme fiscale mondiale adoptée par le Canada le 20 juin 2024, est fondé notamment sur les règles du Pilier 2 de l’OCDE. Il s’applique lorsque le taux d’imposition effectif du territoire où est établi un groupe d’entreprises exerçant des activités au Canada est inférieur au taux minimum de 15 %. Dès lors, il y aura application d’un impôt complémentaire par les pays où se trouvent d’autres sociétés du groupe d’entreprises. La RPII pourrait certainement viser les multinationales américaines.

Une menace qui pèse lourd sur les Canadiens

Bien que l’article 891 ait été mis en veilleuse pendant près d’un siècle, son activation devient désormais fort possible. S’il est appliqué, une société canadienne générant des revenus aux États-Unis pourrait voir son taux d’imposition passer de 21 % à 42 %. De plus, les citoyens canadiens exerçant un travail aux États-Unis sont actuellement soumis à des taux d’imposition variant de 10 % à 37 %. Ces taux pourraient doubler pour se situer entre 20 % et 74 %. À cela s’ajouterait l’impôt des États, le cas échéant.

Les Québécois possédant des propriétés aux États-Unis pourraient également vivre les conséquences de cette mesure fiscale. Si ces propriétés génèrent un revenu locatif, l’impôt fédéral américain de 30 % retenu à la source doublera à 60 %. En cas de vente, la retenue fiscale sur le prix de vente, habituellement de 15 %, s’élèvera à 30 %.

Concernant les revenus d’intérêts, l’application de l’article 891 pourrait ne pas avoir d’impact si la convention fiscale Canada–États-Unis est reconnue, car elle prévoit un taux de 0 % sur les intérêts américains perçus par un Canadien. Quant aux dividendes américains, ils sont généralement soumis à une retenue de 15 % en vertu de la convention fiscale, mais ce taux s’élèvera à 30 % selon l’article 891. Toutefois, il faut signaler que l’incertitude persiste, car l’article 891 n’ayant jamais été mis en œuvre, la reconnaissance des traités fiscaux reste incertaine. Les experts américains semblent toutefois favorables à cette reconnaissance.

Réaction du Canada

Le Canada doit rapidement envisager l’introduction d’une mesure semblable à l’article 891 dans la Loi de l’impôt sur le revenu, afin de pouvoir éventuellement répliquer aux États-Unis avec une mesure légale équivalente.

Tout en persévérant dans l’implantation de la TSN, le Canada devrait également réfléchir à sa rétroactivité, qui, en soi, ne générera pas de recettes fiscales majeures. La rétroactivité d’une taxe n’est jamais accueillie favorablement par les contribuables.

En terminant, et sans minimiser leur effet dévastateur, ne nous laissons pas aveugler par les droits de douane. L’assaut fiscal de Trump est loin d’être terminé. Il est donc crucial et impérieux de nous préparer dès à présent aux prochaines secousses fiscales.

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